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Assurance décennale et preuve d’un risque sanitaire

Délai légal de la garantie décennale et risque sanitaire

Conformément à l'article 1792 du Code civil, le constructeur d'un ouvrage est responsable des dommages compromettant la solidité de l'ouvrage ou bien le rendant impropre à son usage de destination. Pour le professionnel, la souscription préalable à une assurance en garantie décennale permet d'éviter les conséquences financières d'un tel dommage.

Toutefois, la loi impose que le désordre apparaisse dans un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux. Que se passe-t-il lorsque les dommages ne surviennent pas dans ce délai ? Si l'on suit l'analyse stricte de la loi, le constructeur ne devrait alors pas engager sa responsabilité.

Pourtant, les juges ont estimé que la garantie décennale peut s'appliquer en raison d'un risque sanitaire suffisamment grave encouru par les occupants d'un bien immobilier, même si le désordre n'apparaît pas dans le délai de 10 ans. Par cet arrêt du 14 septembre 2023, la Cour de cassation a considéré que le risque sanitaire était d'une telle gravité qu'il constituait à lui seul l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, y compris en dehors du délai de réalisation du désordre.

En l'espèce, une expertise avait relevé la non-conformité de la tuyauterie aux règles sanitaires normalement en vigueur, ce qui pouvait favoriser le développement de légionelles nocives pour la santé. Or, la présence de légionelles avait été révélée après le délai de 10 ans. Par leur décision, les juges ont admis qu'une simple constatation d'un danger grave suffit à appliquer les conditions propres à la garantie décennale.

Notion de gravité du désordre et action de la garantie décennale

Engager la garantie décennale implique de considérer le niveau de gravité du désordre. Ainsi, si le dommage ne dépasse pas un certain seuil de gravité, il peut tout de même permettre d'actionner d'autres garanties légales.

Pendant de nombreuses années, la Cour de cassation a rappelé que le seuil de gravité décennal devait être atteint avant la fin du délai d'épreuve de 10 ans tel que prévu à l'article 1792-4-1 du Code civil. La situation est donc sensiblement différente selon que le juge statut avant la fin du délai d'épreuve ou avant. Pour autant, les juges ont toujours considéré que l'aggravation du dommage après les 10 ans ne suffisait pas à engager la responsabilité décennale du constructeur et ont cherché à vérifier le niveau de gravité du désordre allégué.

Toutefois, les juges émettent une exception concernant un risque manifeste d'atteinte à la sécurité des personnes. Ce fut le cas dans plusieurs situations concrètes comme la présence d'un risque lié au non-respect des règles parasismiques ou encore l'erreur sur la largeur d'un passage piéton, présentant un danger pour l'utilisateur. Dans ces différents cas, les juges recherchent si le désordre rend l'ouvrage impropre à sa destination. Devant la gravité du risque encouru, la condition de délai cède facilement, dans un souci de protection du maître d'ouvrage. Dans ce cas, la charge de la preuve est allégée. Le support d'un rapport d'expertise peut être nécessaire pour démontrer l'existence de ce risque grave.

Démonstration d'un désordre ou d'une non-conformité dans le délai décennal

Le délai décennal est un délai d'épreuve et non pas un délai d'action. Cela signifie concrètement que le maître d'ouvrage doit réunir les conditions de mise en oeuvre de la garantie avant la fin de ce délai. Ainsi, la jurisprudence a toujours soumis l'application de l'article 1792 du Code civil à la survenance certaine d'un désordre affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. Cela, avant l'expiration du délai d'épreuve de la garantie décennale.

Ce principe avait été retenu par les juges dans le cadre de nombreuses décisions, notamment dans un arrêt de mai 2006 où les juges estimaient que l'expert judiciaire faisait état d'un risque certain de déraillement d'un funiculaire dans le délai décennal à la suite d'une aggravation prévisible et présentant un danger pour la sécurité des usagers.

Plutôt que de durcir sa prise de position, la Cour de cassation a plutôt adopté une position traditionnelle en 2023. En effet, elle choisit désormais de considérer que le niveau de gravité du risque suffit à prouver l'existence du désordre de nature décennale, quel que soit le moment où il survient, y compris en dehors du délai d'épreuve.

En partant de ces éléments, il apparaît donc que la seule démonstration d'un désordre ou d'une non-conformité susceptible de constituer un risque sanitaire pendant le délai décennal de 10 ans suffit à faire jouer les garanties de l'assurance en responsabilité décennale. Ainsi, le risque sanitaire lié au désordre ou à la non-conformité d'un élément rend en lui-même l'ouvrage impropre à sa destination.

Appréciation du désordre caché

La question s'est souvent posée de savoir ce qu'il fallait entendre par "impropriété de l'ouvrage", en tenant compte de la qualité du maître d'ouvrage, généralement profane. En effet, les juges partent généralement du principe que celui qui sollicite les travaux est un particulier qui ne maîtrise pas les rouages de la construction. De ce fait, il n'est pas forcément en mesure de déceler le désordre dont il est question au moment de la réception de l'ouvrage. La preuve de l'existence d'un désordre caché est donc facilitée pour tous les maîtres d'ouvrage profanes. La situation est toutefois différente si celui qui commande les travaux est une entreprise ou une personne maîtrisant les rudiments de la construction. Dans ce cas on pourrait imaginer que les juges se pencheraient davantage sur la preuve rapportée.

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